Nancy R. Lange écrit depuis longtemps. Elle ne compte plus les heures consacrées à l’écriture, à la promotion de la poésie et à la protection de l’environnement. J’ai cru bon m’entretenir avec cette auteure, traductrice littéraire, animatrice sociale et culturelle. Voyons ce qu’elle veut bien nous raconter.
J’ai l’impression que vous êtes tombée en écriture dès votre enfance… L’écriture est venue à vous ou êtes-vous allée vers elle ?
Comme je l’ai écrit dans Traduire les lieux/Origines, qui a paru cette année, en 2021, aux Éditions de la Grenouillère : « Je ne me souviens pas d’avoir appris à lire ou à écrire. Il me semble que l’écriture a toujours été là, comme l’air en mes poumons, le sol fait pour y courir. » Ma rencontre avec la poésie, par contre, s’est faite par l’entremise de mon professeur de septième année, l’extraordinaire Jacqueline Déry-Mochon. Je décris, dans ce même texte, qui s’intitule « La petite école », ce moment où notre professeure, « sans se laisser distraire par les garçons de la classe qui se lancent par la tête des morceaux de papiers baveux, mâchouillés et éjectés par les tubes de plastique de leur stylos Bic vidés de leur contenu », se met à nous lire avec passion La Cavale sauvage de Musset. Cette journée a changé ma vie.
Qu’est-ce qui déclenche l’écriture ?
J’ai fait beaucoup de collaborations avec des artistes de d’autres disciplines et un visuel qui m’interpelle, que cela soit une photographie, une peinture ou une installation peut être un déclencheur. La danse aussi. Je fonctionne aussi très bien avec des contraintes imposées et j’aime suivre des ateliers justement parce qu’ils sont des déclencheurs, dépendant de la personne qui anime l’atelier.
Décrivez-nous vos motivations à écrire ?
J’écris d’abord pour moi, par envie de capturer des instants ou des pensées. Écrire un livre par contre, c’est autre chose. Il y alors un travail sur l’écriture qui demande une patience semblable à celle de l’artisan et dans lequel on s’absorbe complètement. Le monde extérieur disparait. Je peux passer énormément de temps à réfléchir sur la pertinence d’un mot dans un texte. Le mettre de côté et y revenir à plusieurs reprises.
Vous avez écrit des recueils de poésie publiés aux Écrits des Forges et des souvenirs liés à des lieux aux Éditions de la Grenouillère. Ce sont des projets aux antipodes ou complémentaires ?
Je crois qu’il y a des
liens, une continuité. Dans la voix et
aussi dans les thématiques. Par exemple,
le regard sur l’évolution de la condition féminine se retrouve dans le recueil Elle
est un parc abandonné, où je rends hommage à Louky Bersianik pour ensuite écrire
ma vision de l’espace de la femme dans la société d’aujourd’hui, transposée par la poésie.
Plusieurs textes de Traduire les lieux/origines évoquent
eux aussi des femmes de jadis, une dame qui a élevé une véritable dynastie à Sainte-Rose,
où je vis, et le personnage de Sainte Rose de Lima ou encore des femmes comme
mon institutrice, ma mère et ma grand-mère qui ont tellement influencé mes
valeurs. J’ai conscience d’où je viens
comme femme, je sais que des femmes ont pavé la route pour moi et je leur en
suis reconnaissante. La filiation est un
thème récurrent dans mon travail. J’ai
beaucoup écrit autour de celle transmise par les femmes. En ce moment, je termine un grand cycle
autour de celle léguée par les hommes.
Écrivaine (j’englobe les écritures plurielles, sans fragmenter par genre littéraire) de la cohue ou du silence ?
J’ai beaucoup de difficulté à écrire dans des lieux publics ou avec du bruit autour de moi. J’ai besoin de silence pour m’entendre penser. Mais mon écriture, bien qu’intimiste, est souvent située dans le rapport à l’autre.
Selon vous, quel est l’apport des femmes dans les arts, mais plus précisément en littérature ?
Il est immense et méconnu. C’est pourquoi j’ai fondé la revue Femmes
de parole qui met en valeur la trace laissée par l’écriture des femmes
dans l’écriture des autres et vise à faire connaitre des femmes de tous les
pays et aussi à honorer la mémoire de grandes auteures québécoises décédées
avec des textes d’hommes et de femmes qui ont été influencés par elles.
Qu’est-ce que R.A.P.P.E.L ?
R.A.P.P.E.L.: Parole-Création est un regroupement lavallois d’auteurs et d’artistes que j’ai fondé il y a cinq ans et qui vise à mettre en valeur les auteur.e.s et artistes de Laval par le biais de jumelages et d’échanges avec des auteurs et artistes de d’autres régions, provinces ou pays et par la production d’une programmation gratuite comportant des ateliers, des spectacles, des festivals et des projets collectifs souvent reliés à des causes sociales comme la mise en valeur de l’environnement, de la voix des femmes et de la diversité culturelle.
Quels sont vos personnages féminins préférés ?
Dans les personnages pour enfants, rapidement, je dirais Fanfreluche, Fifi Brindacier, Alice au pays des merveilles et Hermione Granger (j’ai lu tous les Harry Potter à ma fille).
Sinon, il y en a tellement… Spontanément : Louise dans Thelma et Louise, la narratrice dans L’amie prodigieuse de Elena Ferrante, la narratrice dans Habiller le coeur de Michele Plomer, Émilie Dickinson dans Les villes de papier de Dominique Fortier et Émilie Bordeleau dans le roman Les filles de Caleb et plusieurs des femmes écrites par Michel Tremblay et qui me rappellent mes grands-tantes.
La littérature québécoise rejoint-elle l’universel ? Si oui, en quoi ?
Bien sûr. Je crois qu’on rejoint l’universel en se connectant totalement avec ce qu’on est.
Seriez-vous tentée d’écrire du théâtre, des nouvelles ou du roman ?
J’ai déjà écrit des textes en prose et je viens de terminer un roman.
L’écriture bâtit-elle des ponts entre les rives ?
Oui, l’écriture bâtit des ponts entre les rives, entre les êtres humains, entre le passé et le présent, entre le réel et le rêve, le devenu et le devenir.
Décrivez-vous en cinq mots ?
Ce matin : passionnée,
authentique, Femme de parole.
© Photo de Nancy R. Lange : Jeanne Tétreault. Deux autres photos : Denis Morin. Entretien, Nancy R. Lange, Denis Morin, 2021.
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