Alain Maufinet est un auteur prolifique autant à
l’aise dans la nouvelle que dans le roman. Il est l’une des étoiles montantes
chez JDH Éditions. J’ai cru bon m’entretenir avec lui de littérature et de sa
vie. Il vous est possible aussi de consulter les billets écrits au préalable
sur :
« Le chant des brisants » et « L’ombre de Marrakech ».
Bonne découverte.
Vous
êtes un ancien militaire et l’écriture vous accompagne depuis longtemps.
L’écriture est antérieure à cette époque ou fut en simultané ?
J’ai souvent
écrit dans des revues militaires. Mais, mon goût pour l’écriture remonte à
l’époque de mes premières lectures. J’ai peut-être tenté d’imiter, de réécrire
un passage qui m’avait marqué.
« Il
n’y a qu’une méthode pour inventer qui est d’imiter » Alain.
Jeune, j’ai pris goût à raconter des histoires. Moniteur de colonie de vacances (16/17 ans), j’ai animé des ateliers style « histoires au coin du feu ». Très vite, soir après soir, les rangs de mes spectateurs se sont étoffés. Pour répondre aux demandes de mon jeune public, j’ai laissé libre court à mon imagination. Alors l’écriture a suivi.
Vous
sentiez-vous plus respecté par vos collègues et subalternes parce que vous
preniez la plume?
J’ai publié
mon premier roman très tard, ma carrière militaire était terminée.
Lors de ma carrière de directeur d’agence immobilière, j’avais pris un nom de plume : Alain Badirac. Puis, un jour j’ai décidé d’offrir un de mes romans dédicacé à tous mes collaborateurs (une bonne vingtaine). Aujourd’hui, des anciens collaborateurs, des anciens prestataires de service, et des anciens clients me lisent.
Il y
a du rouge avec votre nouvelle Les volets rouges publiée dans le
collectif Cadavres écrits et dans L’ombre de Marrakech, tandis
qu’il y a beaucoup de bleu dans Le chant des brisants. Que vous inspirent
ces deux couleurs?
Le rouge : l’action, le danger.
Le bleu : le calme, la poésie.
J’ai également un faible pour le vert (l’agate verte, la malachite). Plusieurs de mes personnages ont les yeux verts. La teinte du mystère.
Comment
vous est venu de jouer le préfacier pour Aziyadé de Pierre Loti dans la
collection des Atemporels?
J’ai
découvert Pierre Loti, en découvrant l’ensemble de son œuvre à l’Île Maurice il
y a bien longtemps. Beaucoup plus tard, j’ai publié « Le chant des
brisants » qui est un peu la suite de la « Pluie soleil » publié
sous le nom d’Alain Badirac. Ces deux romans ont pour cadre : l’île
Maurice.
Alors en 2021,
en publiant le « chant des brisants » je me suis souvenu de mes lectures
des ouvrages de Pierre Loti.
« Je m’étais donc installé dans un fauteuil en osier, sur le damier de marbre de la grande terrasse inondée de lumière. Un soleil puissant ralentissait toute vie. J’examinais la bibliothèque qui couvrait les murs en bois du couloir, dans cette grande maison au plancher plusieurs fois centenaire. Bel univers pour m’immerger dans l’œuvre poétique de Pierre Loti, marin et amoureux d’aventures lointaines. » Extrait de ma préface.
Vous
aimez indéniablement l’action, n’est-ce pas ? Est-ce que le passé en est la
cause ?
Tout à fait. Lors de mes premières lectures (vers 8/10 ans), j’ai apprécié la Comtesse de Ségur, Les Malheurs de Sophie... J'ai beaucoup aimé Les grandes vacances. Mes passages préférés étaient ceux qui offraient de l'action. Peu après, j'ai découvert des livres où dominaient le danger et l'aventure avec un grand A. Je pense à James Fenimore Cooper avec son roman Le Dernier des Mohicans, puis le cycle des histoires de « Bas-de-cuir », « le Tueur de daims », « le lac Ontario ». Puis, je me suis plongé dans les œuvres de Chateaubriand, Victor Hugo, Balzac. C'est ainsi que j'ai lentement associé action et poésie. Pour moi, les deux se complètent.
Faut-il
avoir vécu dans un lieu pour en parler ?
Pas
spécialement. Il est vrai que j’apprécie de décrire mes personnages dans un
monde réel, à une époque déterminée. Au fil de mes lignes, je dénonce, je
décris, je place un coup de projecteurs sur des évènements ou des comportements
propres à la période de l’écrit. Je laisse mes personnages juger, expliquer et
vivre avec leurs qualités et leurs défauts. Je laisse le lecteur juger.
Ainsi, dans
mon dernier roman, « L’ombre de Marrakech », je dénonce en
particulier les trafics d’êtres humains et plusieurs types de violences.
Voici un
extrait pour juger :
« De temps à autre, un gémissement s’élève, des bruits de chaînes
résonnent. L’on comprend que Dominique n’est pas la seule misérable détenue
dans ces lieux. Plusieurs victimes subissent la même loi, dans un endroit qui
en est dépourvu. Les surmulots[1]
circulent souvent et s’acharnent sur les plus faibles.
Une plainte
devient plus intense, elle s’intensifie. La vieille femme se lève, saisit un
épais et long lacet de cuir. Elle ouvre un accès en ferraille et, sans une
seule hésitation, frappe énergiquement deux fois avec son fouet. Sa riposte est
efficace, un corps chute, un lourd silence succède à un cri. »
J’écoute et je regarde agir mes personnages au fil des pages. Ils m’échappent. Je ne les connais vraiment qu’à la fin du roman.
[1]
Le surmulot est un rat d’égout. On en compte 2 à 3 pour un terrien,
estiment les spécialistes.
Je
vous sens à la fois très attaché à la France et épris de voyages. Cet énoncé
vous parle-t-il ?
C’est exact, toutefois je n’ai jamais éprouvé le mal du pays en voyageant
hors des frontières françaises.
Puisque j’ai évoqué l’île Maurice, je ne résiste pas à l’idée de vous offrir quelques lignes du « Chant des brisants », lorsque mon nom de plume était Alain Badirac, pour évoquer les premiers pas de l’homme sur cette terre longtemps déserte.
« En 1512, quand le Cirne, voilier portugais, visita cette terre, elle n'était qu'une indication récente et peu précise sur quelques documents réservés aux marins et aux princes. … Une ombre surgit à l’horizon, c’est un voilier fatigué par
des mois de traversée sans escales, de colères ininterrompues des flots. Une
terre paraît. Les ancres plongent devant un groupe de tortues marine. Le
premier canot fend la surface calme, légèrement turquoise, d’une mer
intérieure, s’étendant sur des berges blanches, dépourvues de traces humaines.
L’équipe de la petite embarcation est nerveuse, mais décidée à fouler la terre
ferme. Les roches sombres, dispersées sur la plage, pourraient être les points
d’interrogations harcelant les nouveaux venus. Les oiseaux se sont tus,
intrigués par ces visiteurs étranges. De gros dindons maladroits restent immobiles,
puis s’éloignent gauchement. Leurs ailes, trop courtes, ne leur permettent pas
de voler. Leurs corps, trop lourds, les empêchent de courir. Ils s’arrêtent
souvent, intrigués par les intrus venus de l’horizon. Quand ils auront
définitivement disparu, l’homme les appellera Dodos. »
Extrait de la « Pluie Soleil ».
« Fouler un sol vierge de toute vie humaine, c’est désormais
impossible sur la terre (on peut le penser), mais c’est un vieux rêve. En
voyageant, j’imagine que je vais pouvoir le faire.
On
écrit au quotidien ou il peut y avoir des temps de désert ?
J’écris de
temps à autre, pas nécessairement régulièrement. Je ne connais pas le problème
de la page blanche. Jeune, j’ai d’abord commencé par des descriptions de
paysages, de situations, de sensations, puis sans vraiment le chercher j’ai
trouvé le souffle nécessaire pour un dérouler un long roman. En l’an 2000, lors
de mes premières démarches pour trouver un éditeur, j’ai reçu un accueil très
chaleureux de la part du directeur littéraire de la maison Grasset. Ce fut sans
lendemain, j’en ignore toujours la raison.
Aujourd’hui, certains de mes écrits sont terminés et publiés, d’autres sont presque achevés mais ne seront probablement pas édités. Ils manquent de souffle. « C’est pour n’avoir pas assez réfléchi sur son sujet qu’un auteur est embarrassé pour écrire » Buffon.
Barbey d'Aurevilly disait : « Il n'y a pas de romancier dans le monde qui ne soit jamais inspiré de ce qu'il a vu et qui n'ait jeté ses inventions à travers ses souvenirs. » Pour ma part, je m'attache à donner à mes romans l'illusion de la vie. L'extraordinaire, la fantaisie, le fantastique sont absents de mes écrits, même si je sais les apprécier chez d'autres auteurs.
Pourquoi écrit-on ?
Penser,
concevoir un écrit est une occupation exquise.
L’écriture
me rapproche de la peinture, de la musique. On écrit, on peint, on joue pour
les autres. D’ailleurs je travaille mes phrases en pensant à des tableaux, à
des mélodies.
J’imagine
souvent ceux qui découvrent mon écrit. Je les sens déshabiller mes phrases, mes
pages.
Écrire c’est travailler avec passion, ne pas contempler les difficultés mais les vaincre.
Vous
partez en voyage sur une île tranquille, vous avez le choix de trois bouquins…
Lesquels et pourquoi ?
- « Le
dernier des mohicans » en souvenir de mes jeunes années.
- « Le Grand Meaulnes » d'Alain-Fournier.
- « Quatrevingt-treize » de Victor Hugo.
C’est du moins le choix que je pense pouvoir faire aujourd’hui. Un désir
de mêler les souvenirs d’enfance, d’adolescence et d’études supérieures.
Si vous me posez la question plus tard, mon choix se portera peut-être sur d’autres romans d’auteurs modernes.
Donnez-moi
cinq mots qui décrivent l’homme et l’écrivain ?
Penser, rêver, concevoir, créer, offrir.
En vous
remerciant pour vos questions, je me permets de rajouter en songeant à
d’Alembert.
« Deux
choses charment l’oreille dans la langue française : le son et le nombre.
Le son consiste dans la qualité des mots, le nombre dans leur
arrangement. »
© Photos, Alain Maufinet; entretien, Denis Morin, Alain Maufinet, 2021
Un grand merci à Denis Morin pour ses questions pertinentes.
RépondreEffacerAu plaisir. La prose du romancier m'a bien guidé.
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