jeudi 19 août 2021

Entretien avec Régine Ghirardi

 

La magie du virtuel abolit les frontières réelles. Nul besoin de passeport. Par un truchement d’influx électriques, les questions filent vers la France et les réponses reviennent au Québec. Cette romancière de grand talent et moi, nous avons en commun d’apprécier le mouvement préraphaélite, elle avec le peintre Anthony Frederick Sandys et moi avec John William Waterhouse. Aujourd’hui, Régine Ghirardi a bien voulu répondre à mes questions. Bonjour Régine. Bonne découverte aux lecteurs et lectrices !


Quels furent les prémices du roman Villa des orangers ? Sandys ou le vin Brunello ? 

Bonjour, Denis et merci infiniment pour tous ces compliments. Oui, nous partageons la même passion pour les PRB, chose assez rare dans le monde de l’art.

En ce qui concerne les prémices de Villa des orangers, il est clair que la toile Marie-Madeleine de Sandys a été le déclencheur du personnage de Maria-Maddalena. Cette peinture « est venue à moi » lors de mes nombreuses recherches en galerie d’images sur le net. J’étais en quête d’inspiration, de coïncidences... Dès la découverte de cette toile, il s’est produit une synchronicité relationnelle entre le personnage et la peinture. Puis, plus tard, le même phénomène s’est renouvelé entre Claudia et Maria-Maddalena.

Il reste néanmoins que le moment clé, celui qui m’a donné l’élan d’écrire Villa des orangers,  est venu de l’odeur des fleurs d’un oranger...

Vous décrivez Florence comme si vous y aviez vécu. Comment fait-on, recherche ou autrement ? 

Lorsque, dans un parcours créatif, on est mû par la nécessité absolue de découvrir une réalité, ou du moins de s’en rapprocher au plus près, on décuple ses forces et ses possibilités. C’est ce que j’ai fait. Pendant deux ans, avec Google Earth et Google Street View, et à raison de 2 heures quotidiennes, j’ai sillonné inlassablement la Toscane, Florence et Montalcino.

J’ai également visionné quantité de vidéos, cuisiné sans relâche toutes sortes de plats italiens, suivi des blogs de voyages. J’ai étudié l’histoire des Médicis, les civilisations qui ont suivi, la politique à travers l’histoire incroyable de ce peuple, son économie, sa géographie, son climat, sa culture cinématographique et artistique. Sa musique, sa littérature…

J’ai eu l’impression que Claudia c’était vous et Marc votre époux… Est-ce que je me trompe ? Disons que Claudia est aussi solaire que vous l’êtes…

Merci pour le gentil compliment ! Non, Denis, vous ne vous trompez pas. Notre couple est ainsi. Nous cultivons l’amour et la joie et vivons dès que c’est possible dans le moment présent. Je pense qu’avoir repris dans le livre notre mode de fonctionnement, apporte à ce dernier beaucoup de sincérité et de fraîcheur. Après, forcément, on est obligé de se livrer sans pudeur…

Comme Claudia, vous avez étudié la langue arabe. Avez-vous d’abord été séduite par les arabesques de l’écriture ? Que cela vous procure-t-il ?

Non, la calligraphie arabe m’a même effrayée dans un premier temps, me donnant le sentiment que je n’y arriverais pas. Ensuite, son esthétisme m’a envoûtée. En ce qui concerne l’apprentissage de la langue arabe, cette démarche consistait pour moi en un mouvement fraternel vers l’autre, auquel nous sommes tous conviés pour mériter notre statut d’humain. Après ces 13 années d’études, je ressens une très grande fierté. J’ai également enseigné l’alphabet arabe et des poésies de Mahmoud Darwich à certains de mes petits-enfants.  (Je précise tout de même que je suis issue d’une famille raciste). Comme quoi, il n’est pas impossible de changer la donne.

Combien cela vous a-t-il pris de temps pour écrire cette œuvre de 540 pages ?

Cela m’a pris exactement 5 ans, comprenant recherches et écriture.

Vous avez sans aucun doute une formation en histoire de l’art ? Est-ce que vous peignez ?

Non, Denis. Je n’ai à mon actif qu’une seule année passée aux beaux-arts. Toutes mes connaissances, mes études et recherches sur l’art proviennent d’un investissement personnel depuis mon adolescence. C’est une quête sans limite, un besoin d’art comme de nourriture. Un « état d’être » sans lequel je n’aurais jamais réussi à rejoindre mon cœur et mon âme.

En ce qui concerne la peinture, oui, il m’arrive de peindre. Par cycles où je ne fais que ça. 

L’écriture est-elle thérapeutique ou tout bonnement créatrice ?

Non, l’écriture n’est pas du tout thérapeutique pour moi. Je ne suis guidée que par ce besoin irrépressible de cultiver la joie et le bonheur coûte que coûte, comme un devoir de gratitude à la vie.

Avez-vous déjà abordé d’autres genres littéraires (nouvelle, conte, poésie, théâtre) ?

Non, sauf la poésie durant toute ma jeunesse.

Écrivez-vous avec un plan préétabli ou non ?

Oui, pour la trame générale que je découpe en plusieurs parties. Ce plan est comme une sorte de carte qui me permet de savoir vers où je dois naviguer pour m’approcher du port. Ensuite, toutes les escales sont permises, ainsi que les changements de cap et changements du personnel naviguant. Et, bien sûr, les fêtes à bord sont totalement improvisées !

En lisant votre roman, me revenaient en tête La chanson des vieux amants (de Brel, version Melody Gardot) et Dance me with the end of love de Leonard Cohen. C’est superbe de décrire l’amour des jeunes, des couples matures et des couples âgés comme celui de Maria-Maddalena et Alexander. Vous est-il plus difficile de parler de ce couple ou de celui de Hicham et Mirella ?

Mais quel bonheur de découvrir que, pendant la lecture de Villa des orangers, ces deux chansons ont habité votre esprit ! Je suis sans voix. Je les ai réécoutées, j’ai vu ce que vous avez pu voir et j’ai pleuré d’émotion… Je suis extrêmement touchée et fière de voir Villa des orangers associé à ces deux monuments de la chanson. Merci Denis, pour cette confidence.

Quant à l’amour, je peux en parler facilement quel que soit l’âge du couple amoureux. Les ressentis, les réactions sont universelles, même si je reste persuadée qu’ils sont de plus en plus intenses avec l’âge…

Pensez-vous déjà à d’autres projets ?

J’ai plusieurs livres « en futur », plusieurs histoires qui sont venues à moi toutes seules, soit en rêve, soit en méditation pendant de longs trajets en voiture.

Je ne peux créer que si des scénarios s’imposent, s’infiltrent et m’envahissent. Ensuite j’écris simplement le plan de ce que j’ai vu et ressenti pendant ces visions.

Les histoires sont donc prêtes. J’attends de pouvoir retrouver le calme et l’isolement nécessaires à l’écriture lorsque la promotion de Villa des orangers me laissera plus de temps. 

L'écriture est-il un envoûtement qui ne peut être brisé ?

Sincèrement, oui, puisque je crois que l’écriture ne dépend pas uniquement de nous.

 

© Photos, Régine Ghirardi, 2021. Crédits photos, Maëlys Caous-Ghirardi (pour la 1ière photo), Dr Thierry van der Chouinaert (pour la 2e photo). Billet, Denis Morin, Régine Ghirardi, 2021.

 

 

 

 


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