mardi 1 octobre 2019

Entretien avec Tom Noti


Le temps n’était pas propice pour flaner sur l’avenue du Mont-Royal, Vincent Giudicelli venait de repartir pour Lyon, Suzanne Myre préparait ses ateliers d’écriture ou cogitait à son prochain roman. Or, je me suis dit qu’il me fallait m’entretenir sur Skype avec le romancier Tom Noti. C’est que nous avons fait, moi assis dans mon scriptorium à Deux-Montagnes et lui, installé à une terrasse, à Grenoble. Voici de quoi il en retourne au sujet de cet homme solitaire et solidaire.


Etes-vous écrivain depuis toujours ?

Oui, j'écris depuis toujours mais je ne m'en étais pas rendu compte avant de poser les mots sur une feuille. J'ai toujours été celui à qui on demandait un discours, un éloge funèbre, une chanson... et j'adorais ça. Mais il y avait toujours ces mots qui me venaient lorsque j'assistais à une scène, des phrases comme des sous-titres à ma vie, depuis toujours. J'écrivais dans ma tête.  Et puis un jour, j'ai plongé dans l'écriture "d'une histoire" qui est devenu mon premier roman et je n'ai plus jamais cessé. Il était temps retrouver celui que j'avais si peu écouté. J'avais tellement cru qu'il fallait avoir "la carte" sociale et culturelle pour écrire, pour faire partie de ce monde...  J'avais peur de mes propres rêves parce que le sentiment d’illégitimité reste collé à la semelle des bottes crottées.   

Quel fut l’élément déclencheur du processus d’écriture ?

Mes fils ! Je les accompagnais assez loin de chez nous, faire du sport et j'attendais dans un bistrot (J'adore les bistrots). C'est là que je m'y suis mis vraiment. J'aime le bruit pour m'isoler et la vie pour sortir de la mienne. Et puis, il y a eu ce souper chez nous, où j'ai exhorté mes fils à vivre leurs rêves et surtout ne pas avoir de petits rêves restreints à la conformité et à la raison. Mon petit dernier, qui avait 8 ans à l'époque, m'a alors demandé quel était mon grand rêve à moi. Je n'ai pas pu tricher. J'ai avoué que c'était écrire. Alors sa réponse fut sans équivoque : « Tu nous dit de vivre notre grand rêve et toi tu ne l'as pas fait. Tu pourrais, tu n'es pas encore "trop vieux"... » Deux mois plus tard, je signais mon premier contrat d'édition. 

Décrivez-vous en cinq mots ?

Anxieux  -   lunaire  -   sceptique   -   vivant  -  solitaire.

Comment conciliez-vous le temps à titre d’enseignant et celui de l’écrivain ?

Je suis enseignant de 8 h à 19 h sauf le mercredi et le week-end durant lesquels je deviens un type qui écrit et qui trouve ces journées trop courtes. J'ai aussi pas mal de vacances qui me permettent de me sentir "écrivain" à plein temps. C'est un immense privilège. Une double vie, en quelque sorte... 

Que lisez-vous ?

Je lis presque tout. Romans, polars, poésie (un peu moins, je l'avoue). Concernant les romans, il y a tellement d'œuvres classiques à redécouvrir et tellement d'auteurs que j'ai envie de connaître. J'ai découvert seulement récemment, à ma grande honte, Toni Morrison, Virginie Despentes, qui ont une écriture d'une telle puissance, d'une telle intensité. Mais il y en a tant d'autres !  Pas assez d'une vie, sans doute....  J'ai beaucoup lu de littérature anglaise qui mélange souvent légèreté et mélancolie d'un subtil dosage. Grande admiration pour ceux qui manie cette ambivalence avec dextérité. 

J'adore aussi les polars. Si un auteur me piège, je deviens son plus grand fan !!! Toujours surpris d'être happé par une intrigue qui vous teint en haleine jusqu'au bout. 

La poésie enfin, pour les respirations, les sentiments qui éclosent du bourgeon d'un mot choisi et qui transportent et qui élèvent.

Misanthrope ou philanthrope ?

J'aimerai avoir le courage de ces deux adjectifs. 

J'aimerais être misanthrope pour me murer dans la solitude et ne plus être chamboulé par les humeurs des autres, ne plus être dérangé par les mots des autres ou leurs désirs.  Et puis j'aimerais à la fois être seulement philanthrope pour jouir de chaque moment accompagné de ceux que j'aime. Il doit y avoir une maladie qui synthétise les deux !!!   J'aime mes amis d'un véritable amour et ne pas les côtoyer assez souvent me rend triste. J'aime le basket parce que les partages que l'on éprouve sur un terrain avec ses coéquipiers restent fondateurs d'une conscience morale et sans doute politique. J'aime mes amours d'un amour vorace et terrifiant, ce qui fait que je préfère taire mes peurs pour eux, mes joies pour eux, mes peines pour eux... ce qui fait peut-être qu'au final, je les aime mal. 

Écrivez-vous par ambition ou pour le goût de partager votre imaginaire ?

L'ambition d'être heureux reste louable, non ? J'ai davantage de mal avec l'ambition sociale, commerciale, personnelle si elle est éperonnée par le goût de la lutte. C'est une éducation sans doute mais ce n'est pas la mienne. Le partage, lui, lorsque l'on est lu, est incroyable. On écrit seul, l'histoire et les personnages que l'on a imaginé seul. On retravaille son texte encore bien seul avec son éditeur. Puis, tout à coup, il se passe qu'un grand nombre de personnes vous rapportent leurs sentiments sur cette histoire, sur ces personnages, sur les sentiments que vous leur avez fait porter. Alors là, le mot partage prend une dimension dingue !  On partage avec les lecteurs tout ça. On leur donne même tout ça car chacun se l'approprie de manière personnelle. Oui le PARTAGE ! Quelle jolie issue pour un parcours solitaire.

Comment naît un roman ?

Une rencontre, un article, un sentiment évoqué. L'envie de mettre l'accent sur une vie insignifiante à priori. Chacun porte sa grande histoire. Nul besoin de fait d'arme ou d'écho retentissant. L'histoire intime est la nôtre, la seule alors, il y en a tellement à illuminer, de ces histoires intimes. Écouter les autres et se taire afin que les mots s'écrivent ensuite.

Le mal de vivre chez certains de vos personnages va en parallèle avec des êtres plus lumineux, comme s’il fallait des anges tout autour de nous… Qu’en pensez-vous ?

Oui, bien sûr. Sans les petites lumières, même vacillantes, la pénombre devient juste de l'obscurité. Et l'on n'avance pas dans l'opaque. Pour avancer, il faut une lueur même lointaine. Alors oui, je crois que dans la vie, on rencontre des gens qui dévient votre existence d'un souffle. Mais seulement ce souffle suffit à tout changer. Alors, les anges, sur terre, oui, il y en a plein. Il faut les reconnaître ou du moins les laisser parler, les écouter parce qu'ils ont peut-être quelque chose à nous souffler !

L’humour est-il un remède au désespoir ?

Oh oui ! L'humour est du désespoir en sourire. On n'aurait pas besoin de rire si cela ne faisait pas de nous des survivants du réel. Avec mes amis, nous sommes des enfants de 6 ans pleins de peurs alors nous rions aux éclats. 

Dans Souligner les fautes et Épitaphes, le personnage de l’enseignant est présent, alors que dans Les naufragés de la salle d’attente et Elles m’attendaient... on se renouvelle, on est à l’école de la vie… On se dirige vers le roman psychologique écrit avec empathie et tendresse… Est-ce que je me trompe ?

C'est vrai. Les premiers romans sont un saut dans l'inconnu alors j'avais besoin d'y retrouver des repères, de naviguer en terrain connu afin d'être crédible, d'une part et aussi, d'avoir l'assurance d'une certaine cohérence dans les éléments de l'histoire, à défaut d'une cohérence de l'histoire elle-même. C'est un peu comme l'escalade où il faut assurer ses premières prises pour démarrer l'ascension sans chuter immédiatement. 

La pudeur et la tendresse à l’égard de vos personnages vous vont bien. Est-ce important de leur garder une part de mystère ?

Ah oui. J'aime bien lorsque l'on me parle de la pudeur des personnages. C'est un compliment immense pour moi car je redoute plus que toutes les couches de descriptions avec insistance, comme des couches de crème et de sucre sur un gâteau. Et puis, en tant que lecteur, je n'aime pas que l'on tienne trop ma main... donc, si je peux éviter de guider excessivement les lecteurs de mes romans... tant mieux.  Pour arriver à cela, je dégraisse beaucoup... Le travail de relecture est intense !  Et puis parler de tendresse, c'est aussi un joli compliment. Les personnages doivent garder le mystère que chaque lecteur pourra lui approprier. C'est encore une fois, un partage d'émotions.  


© Photos, Tom Noti
© Entretien, Denis Morin, Tom Noti, 2019




 




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