Le temps n’était pas propice pour flaner sur l’avenue du
Mont-Royal, Vincent Giudicelli venait de repartir
pour Lyon, Suzanne Myre préparait ses ateliers d’écriture ou cogitait à son prochain
roman. Or, je me suis dit qu’il me fallait m’entretenir sur Skype avec le
romancier Tom Noti. C’est que nous avons fait, moi assis dans mon scriptorium à
Deux-Montagnes et lui, installé à une terrasse, à Grenoble. Voici de quoi il en
retourne au sujet de cet homme solitaire et solidaire.
Etes-vous écrivain depuis toujours ?
Oui, j'écris
depuis toujours mais je ne m'en étais pas rendu compte avant de poser les mots
sur une feuille. J'ai toujours été celui à qui on demandait un discours, un
éloge funèbre, une chanson... et j'adorais ça. Mais il y avait toujours ces
mots qui me venaient lorsque j'assistais à une scène, des phrases comme des
sous-titres à ma vie, depuis toujours. J'écrivais dans ma tête. Et puis
un jour, j'ai plongé dans l'écriture "d'une histoire" qui est devenu
mon premier roman et je n'ai plus jamais cessé. Il était temps retrouver celui
que j'avais si peu écouté. J'avais tellement cru qu'il fallait avoir "la
carte" sociale et culturelle pour écrire, pour faire partie de ce
monde... J'avais peur de mes propres rêves parce que le sentiment
d’illégitimité reste collé à la semelle des bottes crottées.
Quel fut l’élément déclencheur du
processus d’écriture ?
Mes fils ! Je
les accompagnais assez loin de chez nous, faire du sport et j'attendais dans un
bistrot (J'adore les bistrots). C'est là que je m'y suis mis vraiment. J'aime
le bruit pour m'isoler et la vie pour sortir de la mienne. Et puis, il y a eu
ce souper chez nous, où j'ai exhorté mes fils à vivre leurs rêves et surtout ne
pas avoir de petits rêves restreints à la conformité et à la raison. Mon petit
dernier, qui avait 8 ans à l'époque, m'a alors demandé quel était mon grand rêve
à moi. Je n'ai pas pu tricher. J'ai avoué que c'était écrire. Alors sa réponse
fut sans équivoque : « Tu
nous dit de vivre notre grand rêve et toi tu ne l'as pas fait. Tu pourrais, tu
n'es pas encore "trop vieux"... » Deux mois plus tard, je signais mon premier contrat
d'édition.
Décrivez-vous en cinq mots ?
Anxieux
- lunaire - sceptique - vivant -
solitaire.
Comment conciliez-vous le temps à titre d’enseignant
et celui de l’écrivain ?
Je suis
enseignant de 8 h à 19 h sauf le mercredi et le week-end durant lesquels
je deviens un type qui écrit et qui trouve ces journées trop courtes. J'ai
aussi pas mal de vacances qui me permettent de me sentir "écrivain" à
plein temps. C'est un immense privilège. Une double vie, en quelque sorte...
Que lisez-vous ?
Je lis presque
tout. Romans, polars, poésie (un peu moins, je l'avoue). Concernant les romans,
il y a tellement d'œuvres classiques à redécouvrir et tellement d'auteurs que
j'ai envie de connaître. J'ai découvert seulement récemment, à ma grande honte,
Toni Morrison, Virginie Despentes, qui ont une écriture d'une telle puissance,
d'une telle intensité. Mais il y en a tant d'autres ! Pas assez d'une
vie, sans doute.... J'ai beaucoup lu de littérature anglaise qui mélange
souvent légèreté et mélancolie d'un subtil dosage. Grande admiration pour ceux
qui manie cette ambivalence avec dextérité.
J'adore aussi
les polars. Si un auteur me piège, je deviens son plus grand fan !!! Toujours
surpris d'être happé par une intrigue qui vous teint en haleine jusqu'au
bout.
La poésie
enfin, pour les respirations, les sentiments qui éclosent du bourgeon d'un mot
choisi et qui transportent et qui élèvent.
Misanthrope ou philanthrope ?
J'aimerai
avoir le courage de ces deux adjectifs.
J'aimerais
être misanthrope pour me murer dans la solitude et ne plus être chamboulé par
les humeurs des autres, ne plus être dérangé par les mots des autres ou leurs
désirs. Et puis j'aimerais à la fois être seulement philanthrope pour
jouir de chaque moment accompagné de ceux que j'aime. Il doit y avoir une
maladie qui synthétise les deux !!! J'aime mes amis d'un véritable
amour et ne pas les côtoyer assez souvent me rend triste. J'aime le basket
parce que les partages que l'on éprouve sur un terrain avec ses coéquipiers
restent fondateurs d'une conscience morale et sans doute politique. J'aime mes
amours d'un amour vorace et terrifiant, ce qui fait que je préfère taire mes
peurs pour eux, mes joies pour eux, mes peines pour eux... ce qui fait
peut-être qu'au final, je les aime mal.
Écrivez-vous par ambition ou pour le goût
de partager votre imaginaire ?
L'ambition
d'être heureux reste louable, non ? J'ai davantage de mal avec l'ambition
sociale, commerciale, personnelle si elle est éperonnée par le goût de la
lutte. C'est une éducation sans doute mais ce n'est pas la mienne. Le partage,
lui, lorsque l'on est lu, est incroyable. On écrit seul, l'histoire et les
personnages que l'on a imaginé seul. On retravaille son texte encore bien seul
avec son éditeur. Puis, tout à coup, il se passe qu'un grand nombre de
personnes vous rapportent leurs sentiments sur cette histoire, sur ces
personnages, sur les sentiments que vous leur avez fait porter. Alors là, le
mot partage prend une dimension dingue ! On partage avec les lecteurs
tout ça. On leur donne même tout ça car chacun se l'approprie de manière
personnelle. Oui le PARTAGE ! Quelle jolie issue pour un parcours solitaire.
Comment naît un roman ?
Une rencontre,
un article, un sentiment évoqué. L'envie de mettre l'accent sur une vie
insignifiante à priori. Chacun porte sa grande histoire. Nul besoin de fait
d'arme ou d'écho retentissant. L'histoire intime est la nôtre, la seule alors,
il y en a tellement à illuminer, de ces histoires intimes. Écouter les autres
et se taire afin que les mots s'écrivent ensuite.
Le mal de vivre chez certains de vos personnages
va en parallèle avec des êtres plus lumineux, comme s’il fallait des anges tout
autour de nous… Qu’en pensez-vous ?
Oui, bien sûr.
Sans les petites lumières, même vacillantes, la pénombre devient juste de
l'obscurité. Et l'on n'avance pas dans l'opaque. Pour avancer, il faut une
lueur même lointaine. Alors oui, je crois que dans la vie, on rencontre des
gens qui dévient votre existence d'un souffle. Mais seulement ce souffle suffit
à tout changer. Alors, les anges, sur terre, oui, il y en a plein. Il faut les
reconnaître ou du moins les laisser parler, les écouter parce qu'ils ont
peut-être quelque chose à nous souffler !
L’humour est-il un remède au désespoir ?
Oh oui !
L'humour est du désespoir en sourire. On n'aurait pas besoin de rire si cela ne
faisait pas de nous des survivants du réel. Avec mes amis, nous sommes des
enfants de 6 ans pleins de peurs alors nous rions aux éclats.
Dans Souligner les fautes et Épitaphes, le
personnage de l’enseignant est présent, alors que dans Les naufragés de la salle d’attente et Elles m’attendaient... on se renouvelle, on est à l’école de la vie… On se
dirige vers le roman psychologique écrit avec empathie et tendresse… Est-ce que
je me trompe ?
C'est vrai.
Les premiers romans sont un saut dans l'inconnu alors j'avais besoin d'y
retrouver des repères, de naviguer en terrain connu afin d'être crédible, d'une
part et aussi, d'avoir l'assurance d'une certaine cohérence dans les éléments
de l'histoire, à défaut d'une cohérence de l'histoire elle-même. C'est un peu
comme l'escalade où il faut assurer ses premières prises pour démarrer
l'ascension sans chuter immédiatement.
La pudeur et la tendresse à l’égard de vos
personnages vous vont bien. Est-ce important de leur garder une part de mystère ?
Ah oui. J'aime
bien lorsque l'on me parle de la pudeur des personnages. C'est un compliment
immense pour moi car je redoute plus que toutes les couches de descriptions
avec insistance, comme des couches de crème et de sucre sur un gâteau. Et puis,
en tant que lecteur, je n'aime pas que l'on tienne trop ma main... donc, si je
peux éviter de guider excessivement les lecteurs de mes romans... tant
mieux. Pour arriver à cela, je dégraisse beaucoup... Le travail de
relecture est intense ! Et puis parler de tendresse, c'est aussi un
joli compliment. Les personnages doivent garder le mystère que chaque lecteur
pourra lui approprier. C'est encore une fois, un partage d'émotions.
©
Photos, Tom Noti
© Entretien, Denis Morin, Tom Noti, 2019
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