J’imagine la femme de lettres assise à une table en fin de journée. Son regard se perd momentanément dans les nervures sinueuses du bois sous ses doigts aussi fins que ceux d’une pianiste. Sa fille sage lui apporte des mandarines à la chair douce et à l’écorce au parfum si solaire. Mère et fille se sourient en silence. Elles partagent une même complicité qu’elles soient à Montréal ou bien lors d’un séjour sur la côte atlantique du Maine. Tout se dit en une économie de mots.
Les nervures sinueuses du bois appellent la femme vers les vagues, les
marées, les silhouettes altières de navires gagnant la haute mer. L’autrice
allume la mèche d’une lampe. Elle se souvient que l’on s’éclairait autrefois à
l’huile de baleine. Pour se réchauffer la main avant de s’immerger réellement
dans l’écriture du texte, elle se plaît à étudier la racine des mots et leur
polysémie. Elle referme les ouvrages consultés, ouvre une page blanche sur
laquelle apparaît un immense cétacé qui remonte à la surface des eaux pour
respirer l’air salin.
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Fascinée par l’histoire du 19e siècle, Dominique Fortier a déjà écrit à propos du navigateur Sir John Franklin et de la recluse poète Emily Dickinson. Son imaginaire s’ouvre à l’Histoire autant qu’à sa vie. Tout s’interpénètre.
Dans La part de l’océan, Dominique Fortier s’élance magnifiquement sur le classique Moby Dick d’Herman Melville et plonge dans la relation amoureuse et épistolaire avec Nathaniel Hawthorne. Puis leurs femmes entrent en scène, Elizabeth Shaw Melville surnommée Lizzie et Sophia Peabody Hawthorne, peintre.
S’ensuit un tissage progressif du désir de Melville envers Hawthorne qu’il voudrait comme unique lecteur, de Lizzie, discrète narratrice, qui retranscrit patiemment les textes de son mari, du chassé-croisé intellectuel et romantique entre Simon, poète contemporain tourmenté et l’autrice elle-même.
Ce roman biographique amplifié par un touchant récit propose un livre
fascinant à découvrir, un jeu littéraire entre la fiction et le réel. Une fois
de plus, Dominique Fortier se fait habile passeuse, nous guidant sur les
méandres de sens qui ponctuent son impressionnant corpus.