dimanche 12 janvier 2025

L'autre moi de Marie-Chantal Perron

J’imagine que l’actrice/autrice pose sur la table de cuisine le texte qu’elle doit mémoriser pour un prochain rôle. L’un de ses chats prend plaisir à faire chuter la pile de feuilles d’une flexion hautaine de la patte. Le minou rigole derrière ses moustaches lisses.

— Eille ! Tu viens juste de mêler mes répliques, s’exclame-t-elle en ramassant cette enfilade de scènes qu’elle avait oublié de paginer avant impression.

L’autre chat se couche à proximité de sa tasse de thé chai qui sent bon la cannelle. Elle se relève et note sur un bout de papier : Jade, Mia, l’innommable. Qu’ont ces trois éléments en commun ? se demande-t-elle. Elle ouvre son ordinateur portatif et y plonge.

Plusieurs mois plus tard, Marie-Chantal Perron est ravie que son deuxième roman L’autre moi soit paru aux Éditions Robert Laffont Québec.

Jade, Mia, l’innommable ont enfin trouvé leur sens.

Jade, sage galeriste, travaille à faire connaître des artistes visuels de talent, essuie le cynisme constant de Mia, sa sœur-mécène et de leur mère. Jade en a assez de leur rendre des comptes. À cause de son entourage malsain, Jade vit ses jours par un déferlement continu de vagues, alors qu’elle ne veut que se reposer dans des eaux calmes.

Au fait, comment gère-t-on au quotidien la jumelle Mia, écrivaine, personnalité publique, excessive, narcissique, habitant en bas de chez soi ? Elle qui fait fuir les amoureux de Jade parce qu’ils manquent, selon elle, de panache, et sont ennuyants comme la pluie. De plus, Mia emprunte constamment les vêtements préférés de sa sœur sans la prévenir. Lourd.

Après tout ce chantage émotif, au moment même où une chatte errante vienne mettre bas de trois splendides chatons dans l’appartement de la romancière, Mia prendra une décision irrévocable.

Est-ce que Jade parviendra à émerger de l’ombre de sa sœur ? Réussira-t-elle à s’affirmer et à exiger qu’on la reconnaisse pour qui elle est vraiment ?

L’écriture de Marie-Chantal Perron déborde d’empathie et de tendresse pour ses personnages. On rit et on s’attendrit face aux rebondissements inattendus de l’émouvant roman L’autre moi. Ce formidable portrait de la gémellité, entre l’attraction et la toxicité, est hautement jouissif et plus que recommandable.  

 


vendredi 3 janvier 2025

La part de l'océan de Dominique Fortier

 

J’imagine la femme de lettres assise à une table en fin de journée. Son regard se perd momentanément dans les nervures sinueuses du bois sous ses doigts aussi fins que ceux d’une pianiste. Sa fille sage lui apporte des mandarines à la chair douce et à l’écorce au parfum si solaire. Mère et fille se sourient en silence. Elles partagent une même complicité qu’elles soient à Montréal ou bien lors d’un séjour sur la côte atlantique du Maine. Tout se dit en une économie de mots.

Les nervures sinueuses du bois appellent la femme vers les vagues, les marées, les silhouettes altières de navires gagnant la haute mer. L’autrice allume la mèche d’une lampe. Elle se souvient que l’on s’éclairait autrefois à l’huile de baleine. Pour se réchauffer la main avant de s’immerger réellement dans l’écriture du texte, elle se plaît à étudier la racine des mots et leur polysémie. Elle referme les ouvrages consultés, ouvre une page blanche sur laquelle apparaît un immense cétacé qui remonte à la surface des eaux pour respirer l’air salin.

*

Fascinée par l’histoire du 19e siècle, Dominique Fortier a déjà écrit à propos du navigateur Sir John Franklin et de la recluse poète Emily Dickinson. Son imaginaire s’ouvre à l’Histoire autant qu’à sa vie. Tout s’interpénètre.

Dans La part de l’océan, Dominique Fortier s’élance magnifiquement sur le classique Moby Dick d’Herman Melville et plonge dans la relation amoureuse et épistolaire avec Nathaniel Hawthorne. Puis leurs femmes entrent en scène, Elizabeth Shaw Melville surnommée Lizzie et Sophia Peabody Hawthorne, peintre.

S’ensuit un tissage progressif du désir de Melville envers Hawthorne qu’il voudrait comme unique lecteur, de Lizzie, discrète narratrice, qui retranscrit patiemment les textes de son mari, du chassé-croisé intellectuel et romantique entre Simon, poète contemporain tourmenté et l’autrice elle-même. 

Ce roman biographique amplifié par un touchant récit propose un livre fascinant à découvrir, un jeu littéraire entre la fiction et le réel. Une fois de plus, Dominique Fortier se fait habile passeuse, nous guidant sur les méandres de sens qui ponctuent son impressionnant corpus.