J’ai aperçu un matin un bref article sur Devance tous les adieux d’Ivy
Edelstein, publié en 2015 aux Éditions Points dans la collection Vivre. Une douce préface de Christian Bobin débute le
livre.
En voyant ce très beau titre, je me suis dit qu’il s’agissait d’un amour
qui finit mal ou presque. Je ne m’étais
pas trompé. En effet, ce livre est un
récit biographique d’un homme, naguère un adolescent orphelin, qui fait une
déclaration d’amour filial à son père disparu. Ce dernier était devenu
dépressif, à la suite du départ de sa femme. L’auteur dit « Ce petit livre est un
recueil. Il est ton berceau d’immortalité. » Il retrouva son père suicidé à la cuisine à
son retour du cinéma. À la manière d’un dauphin qui ne veut plus vivre, son
père s’était laissé tout simplement couler.
Le dauphin cesse de respirer et se noie dans ses larmes salées.
À la mort du
père, les deux enfants eurent des réactions différentes. Le fils tenta de comprendre
et continua de porter respect à son père et sa sœur tomba dans la démence. Leur mère était trop occupée avec son amant
du jour pour se soucier vraiment d’eux. D’ailleurs, elle tentera en vain un
rapprochement avec son fils devenu adulte.
Ce livre est jonché de belles scènes : le père tenant la main de
son fils ; l’arrêt de la voiture familiale long d’un champ de colza parce que
ça lui rappelait l’Algérie ; le père qui fredonne des airs du chanteur argentin
Carlos Gardel ; le père avec qui il entre à la synagogue et à l’église, le père
qui cesse de travailler à l’aéroport pour accueillir son fils adolescent venu
le retrouver.
L’auteur continue d’allumer le vendredi soir une bougie pour son père et
ses ancêtres. Il récite aussi le kaddish,
soit la prière des endeuillés. Ce récit
traite du deuil, mais il traite surtout des morts qui continuent à vivre dans
notre cœur.
Merci à l’auteur pour tant d’amour. Vivement d’autres livres.
Extraits :
« Il n’attendait rien nulle part et voici que ma
mère très jeune et presque belle apparut dans sa vie tandis qu’il quittait l’Algérie
pour la France. Il la vit dans un café parisien rue de Rennes ou bien boulevard
Raspail et il aima immédiatement cette tueuse, tombant amoureux de sa propre
mort. »
« Voilà que je l’insulte, que je le pousse et le
tire dans tous les sens. Il perd l’équilibre, il tombe devant moi, me supplie
de ne pas l’abandonner. Il me dit que je suis son pilier, son honneur. Il me dit que je suis ses yeux et sa lumière. Il
me dit n’importe quoi et c’est très joli à entendre car il ne parle jamais
comme cela, papa. Mon père à terre
devant moi pleure comme un poète brisé. J’ai,
depuis, des pertes d’équilibre en marchant dans la rue. À un moment donné, ma femme m’aidait à traverser
au passage piéton car j’avais peur de tomber. »
« Une semaine avant sa mort, mon père fou, sombre
et triste s’est subitement transformé en être de lumière, qui irradie sur son
passage tous ceux qu’ils croisent, femmes, hommes, enfants. Même le petit chien
de la voisine lui fait la fête comme s’il était son maître revenu. Tout le
monde le pense guéri, papa. Il est juste sauvé. Il est encore dans sa nuit mais
il va déjà vers sa lumière. »
© Photo,
texte, sauf extraits,
Denis Morin, 2019
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