mercredi 23 janvier 2019

Devance tous les adieux d'Ivy Edelstein




J’ai aperçu un matin un bref article sur Devance tous les adieux d’Ivy Edelstein, publié en 2015 aux Éditions Points dans la collection Vivre.  Une douce préface de Christian Bobin débute le livre. 

En voyant ce très beau titre, je me suis dit qu’il s’agissait d’un amour qui finit mal ou presque.  Je ne m’étais pas trompé.  En effet, ce livre est un récit biographique d’un homme, naguère un adolescent orphelin, qui fait une déclaration d’amour filial à son père disparu. Ce dernier était devenu dépressif, à la suite du départ de sa femme. L’auteur dit « Ce petit livre est un recueil. Il est ton berceau d’immortalité. »  Il retrouva son père suicidé à la cuisine à son retour du cinéma. À la manière d’un dauphin qui ne veut plus vivre, son père s’était laissé tout simplement couler.  Le dauphin cesse de respirer et se noie dans ses larmes salées.

À la mort du père, les deux enfants eurent des réactions différentes. Le fils tenta de comprendre et continua de porter respect à son père et sa sœur tomba dans la démence.  Leur mère était trop occupée avec son amant du jour pour se soucier vraiment d’eux. D’ailleurs, elle tentera en vain un rapprochement avec son fils devenu adulte.

Ce livre est jonché de belles scènes : le père tenant la main de son fils ; l’arrêt de la voiture familiale long d’un champ de colza parce que ça lui rappelait l’Algérie ; le père qui fredonne des airs du chanteur argentin Carlos Gardel ; le père avec qui il entre à la synagogue et à l’église, le père qui cesse de travailler à l’aéroport pour accueillir son fils adolescent venu le retrouver.

L’auteur continue d’allumer le vendredi soir une bougie pour son père et ses ancêtres. Il récite aussi le kaddish, soit la prière des endeuillés.  Ce récit traite du deuil, mais il traite surtout des morts qui continuent à vivre dans notre cœur. 

Merci à l’auteur pour tant d’amour. Vivement d’autres livres.

Extraits :
« Il n’attendait rien nulle part et voici que ma mère très jeune et presque belle apparut dans sa vie tandis qu’il quittait l’Algérie pour la France. Il la vit dans un café parisien rue de Rennes ou bien boulevard Raspail et il aima immédiatement cette tueuse, tombant amoureux de sa propre mort. »

« Voilà que je l’insulte, que je le pousse et le tire dans tous les sens. Il perd l’équilibre, il tombe devant moi, me supplie de ne pas l’abandonner. Il me dit que je suis son pilier, son honneur.  Il me dit que je suis ses yeux et sa lumière. Il me dit n’importe quoi et c’est très joli à entendre car il ne parle jamais comme cela, papa.  Mon père à terre devant moi pleure comme un poète brisé.  J’ai, depuis, des pertes d’équilibre en marchant dans la rue.  À un moment donné, ma femme m’aidait à traverser au passage piéton car j’avais peur de tomber. »

« Une semaine avant sa mort, mon père fou, sombre et triste s’est subitement transformé en être de lumière, qui irradie sur son passage tous ceux qu’ils croisent, femmes, hommes, enfants. Même le petit chien de la voisine lui fait la fête comme s’il était son maître revenu. Tout le monde le pense guéri, papa. Il est juste sauvé. Il est encore dans sa nuit mais il va déjà vers sa lumière. »


© Photo, texte, sauf extraits,
     Denis Morin, 2019

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